Toyota et les 24 Heures du Mans : quarante ans de persévérance.
- Stéphane CAVOIT
- il y a 6 jours
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Pendant près de quatre décennies, Toyota a poursuivi un objectif clair et obstiné : triompher dans la course d’endurance la plus exigeante au monde. Mais avant de connaître enfin les honneurs du podium en 2018, puis d’y rester cinq années de suite, le constructeur japonais a accumulé les déconvenues, souvent cruelles, parfois injustes, mais toujours formatrices.

Le drame de 2016 : l'amertume avant la lumière
Le 19 juin 2016, à 14 h 57, la TS050 Hybrid n°5 de Toyota, alors en tête des 24 Heures du Mans, s’immobilise soudainement dans la ligne droite des stands. Aux commandes : Kazuki Nakajima. À un tour de la victoire, une simple tubulure d’admission d’air se détache. Fin de course, fin d’espoir. Les larmes de l’équipe, sidérée, émeuvent bien au-delà du paddock. Cette cruelle défaite, survenue au terme d’un duel titanesque contre Porsche et Audi, vaudra néanmoins à Toyota une reconnaissance universelle : celle d’un grand qui n’abandonne jamais.

Des débuts modestes mais solides
Pour comprendre la portée de ce moment, il faut remonter aux origines. Si Toyota est apparue sporadiquement dans la Sarthe dès les années 1970 en tant que motoriste, c’est en 1985 qu’elle s'engage officiellement. Cette année-là, les prototypes 85C, à la structure en aluminium et motorisés par un petit 4-cylindres turbo de 2,1 litres, font figure de novices face aux ténors du Groupe C. Malgré des qualifications discrètes (24éme et 31éme positions), la fiabilité permet à la n°36, pilotée notamment par Satoru Nakajima, de terminer 12éme.

Une progression continue malgré les revers
Loin d’être découragée, la marque affine ses prototypes d’année en année. Les versions 86C puis 87C adoptent une aérodynamique plus efficace et des moteurs plus puissants, mais parfois au détriment de la fiabilité. En 1986, une voiture abandonne sur panne moteur, l’autre casse son turbo à une heure de l’arrivée. En 1987, les deux voitures abandonnent avant la nuit. Pourtant, dans l’ombre de ces résultats bruts, une réelle progression technique est en marche. En 1988, Toyota aligne les 88C, plus légères (760 kg contre 900 pour les Jaguar XJR-9) et plus agiles. Elles terminent enfin la course (12éme et 24éme), dans un plateau dominé par Porsche, Jaguar, Nissan et Mercedes.

La montée en puissance : 1989-1990
Toyota réorganise alors sa structure. Tandis que Tom’s reste en charge de l’exploitation en piste, TRD (Toyota Racing Development) prend en main la conception. Les nouvelles 89CV, à châssis carbone et moteur V8 biturbo de 3,2 litres, impressionnent sur le papier, mais leur première apparition en 1989 se solde par deux abandons précoces. En 1990, trois 90CV sont alignées. La n°36 termine à une solide 6e place — meilleur résultat de Toyota jusque-là. La n°37 est accidentée par une Nissan, la n°38 victime d’un problème moteur. Des résultats encore frustrants, mais le cap est franchi.

1992-1994 : quand la malchance devient une légende
En 1992, Toyota entame une nouvelle ère avec la TS010, un élégant prototype à moteur V10 atmosphérique de 3,5 litres, conforme à la nouvelle réglementation FIA. Dès sa première apparition à Monza, elle remporte la course face à une Peugeot 905. De bon augure pour Le Mans. Dans la Sarthe, l’une des trois TS010, confiée à Masanori Sekiya, Kenny Acheson et Pierre-Henri Raphanel, mène une course solide et s’intercale entre les deux Peugeot pour décrocher la 2e place. Les deux autres prototypes rencontrent des problèmes mécaniques, preuve que la fiabilité reste un chantier en cours. L’année suivante, la domination de Peugeot est sans appel. Toyota ne peut que constater les dégâts, terminant au pied du podium, 4e, pendant que les 905 signent un triplé retentissant pour leur chant du cygne.
En 1994, un nouveau rebondissement réglementaire redistribue les cartes. La catégorie GT1 fait son apparition, autorisant des voitures homologuées pour la route, sans production minimale. Jochen Dauer exploite cette faille en inscrivant une Porsche 962C routière — la Dauer-Porsche — en GT, tout en maintenant ses performances de prototype. Pendant ce temps, les véritables prototypes comme la TS010 sont pénalisés par un poids minimum revu à la hausse et une capacité de réservoir réduite. Malgré ces désavantages, les deux Toyota prennent la tête avant la tombée de la nuit. La n°1 de Jeff Krosnoff, Eddie Irvine et Mauro Martini mène encore à 14 h 30 le dimanche lorsque survient une nouvelle tuile : rupture de la tringlerie de boîte. Dans une scène poignante, Krosnoff sort de la voiture, engage une vitesse manuellement et parvient à boucler un tour au ralenti pour rejoindre les stands. Mais le mal est fait : les deux Dauer sont repassées devant. Eddie Irvine, dans un dernier sursaut d’orgueil, signe une remontée furieuse pour ravir la deuxième place dans le dernier tour. Trop tard. La presse ironise : « Il est dit que Toyota ne gagnera jamais au Mans. »
1995–1999 : entre transition et renaissance
Après la frustration de 1994, Toyota se retrouve à nouveau confronté à un virage réglementaire. En 1995, les prototypes fermés comme la TS010 sont exclus : place désormais aux GT et à quelques rares spiders. Toyota ne jette pas l’éponge pour autant. L’écurie japonaise Sard prend le relais, développant un prototype dérivé de la Supra. Sous le capot : un moteur bien connu, le 4-cylindres turbo de 2,1 litres issu des anciens prototypes 87 et 88C. L’initiative est courageuse, mais les résultats sont décevants : la Supra termine 24éme en 1995, très loin de la McLaren F1 GTR victorieuse, et abandonne l’année suivante à la suite d’un accident survenu le dimanche matin.
Après une pause en 1997, Toyota revient en force en 1998 avec un projet à la hauteur de ses ambitions. Fini les adaptations : place à une voiture conçue pour gagner. Le programme est confié au Toyota Team Europe (TTE), basé à Cologne, déjà auréolé de succès en Championnat du monde des rallyes (quatre titres pilotes, trois titres constructeurs). À la tête du projet : André de Cortanze, ingénieur français réputé, ancien de Renault Sport, Alpine, Ligier et concepteur de la Peugeot 905 victorieuse au Mans. La Toyota GT-One, aussi appelée TS020, est une pure merveille d’ingénierie : monocoque carbone, silhouette agressive et aérodynamique fine, elle embarque un puissant V8 biturbo de 3,6 litres dérivé du moteur Groupe C. Contrairement à la plupart des GT1, elle est conçue dès le départ pour Le Mans, et homologuée pour la route dans une version minimale, comme l’autorise alors un règlement encore permissif.

Le 6 juin 1998, la course est avancée de deux heures pour éviter de chevaucher la finale de la Coupe du monde de football France-Brésil. Toyota affronte Porsche et Nissan dans un affrontement qui vire bientôt à son avantage. La GT-One n°28 de Thierry Boutsen, Ralf Kelleners et Geoff Lees mène la course pendant plus de dix heures avec autorité. Mais à 12 h 50 le dimanche, la boîte de vitesses rend l’âme à Arnage. Fin de partie. La n°27, elle aussi malchanceuse, crève un pneu dans le dernier tour et doit se contenter de la 9éme place. Malgré les promesses, Toyota repart encore une fois bredouille. Et les commentateurs de rappeler avec une ironie désormais récurrente : « Il est dit que Toyota ne gagnera jamais au Mans. »

1999 : l'ultime cruauté
En 1999, Toyota revient au Mans avec un statut d’ultra favori. Face aux prototypes LMP1 de BMW et aux Mercedes CLR, la GT-One affiche une avance technologique et une vitesse de pointe impressionnante. Dès les qualifications, les ambitions sont claires : les GT-One n°1 et n°2 monopolisent la première ligne de la grille de départ. La course s’élance, et durant la première heure, les deux Toyota mènent le peloton avec autorité. Mais très vite, le ton change. La compétition est féroce, et BMW reprend l'avantage. Mercedes, de son côté, vit un cauchemar. Après deux incidents aériens en essais, la CLR n°5 pilotée par Peter Dumbreck décolle spectaculairement dans la ligne droite d’Indianapolis avant de s’écraser dans la forêt, à plusieurs dizaines de mètres de la piste. Sidération générale. Mercedes retire immédiatement ses voitures.

Pour Toyota, la voie semble s’ouvrir… mais une fois encore, le sort va s’en mêler. Peu avant 23 heures, la GT-One n°1, alors en bonne position, est victime d’une sortie de piste au freinage d’une des chicanes des Hunaudières. Martin Brundle en perd le contrôle, et la voiture est irrémédiablement endommagée. Vers 3 heures du matin, c’est la n°2 qui est impliquée dans un accrochage violent avec une voiture plus lente à l’approche de la chicane Dunlop. Thierry Boutsen, sérieusement blessé au dos, mettra un terme à sa carrière de pilote professionnel après cet accident.

Reste alors la n°3, confiée à un équipage 100 % japonais : Keiichi Tsuchiya, Toshio Suzuki et Ukyo Katayama. Discrète jusque-là, la voiture refait son retard sur la BMW de tête au fil des heures, alignant des relais rapides et constants. À l’approche de l’après-midi dominicale, la tension monte : le suspense est à son comble, les chronos sont en faveur de Toyota. L’écart fond tour après tour. Tous les observateurs s’attendent à un dépassement imminent, peut-être même dans l’ultime heure de course. Et puis, à moins de soixante minutes de l’arrivée, le destin frappe encore. À pleine vitesse, la GT-One n°3 subit une crevaison du pneu arrière gauche. Katayama réussit un miracle en gardant la voiture sur la piste, mais la victoire s’envole une fois de plus. Toyota termine deuxième. Ce nouveau camouflet clôt un cycle. Dès janvier, la marque avait annoncé son entrée en Formule 1, avec l’ambition de conquérir un autre sommet du sport automobile. Mais là aussi, l’histoire sera faite de frustrations : après 139 Grands Prix, Toyota quittera la F1 en 2009 sans la moindre victoire. L’expression « Il est dit que Toyota ne gagnera jamais au Mans » prend alors une dimension presque mythologique. Et pourtant, l’histoire n’est pas finie.

2000–2010 : une décennie d'absence… et de maturation
Après les larmes de 1999, Toyota tourne temporairement le dos aux 24 Heures du Mans. La marque japonaise se lance pleinement dans l’aventure de la Formule 1, investissant des ressources colossales dans son écurie basée à Cologne. Avec l’ingénierie allemande de Toyota Motorsport GmbH (ex-TTE) et des moyens financiers considérables, l’objectif est clair : conquérir les sommets de la discipline reine.
Mais dans la Sarthe, Toyota se fait oublier. Pendant une décennie, les prototypes GT-One prennent la poussière dans les musées et les garages. La marque laisse le terrain libre à Audi, qui inaugure dès 2000 une ère de domination quasi sans partage grâce à la R8, puis à la R10 TDI et la R15. Peugeot, de son côté, revient en force à partir de 2007 avec la 908 HDi, mettant fin à un long silence français au Mans.
Pour Toyota, la Formule 1 ne tiendra pas ses promesses. Malgré des podiums occasionnels, des pilotes prestigieux (Ralf Schumacher, Jarno Trulli, Timo Glock…) et un budget faramineux, l’équipe ne parvient jamais à décrocher une victoire en Grand Prix. Les décisions stratégiques sont parfois déroutantes, les résultats insuffisants. Le 4 novembre 2009, l’annonce tombe : Toyota se retire de la F1 avec effet immédiat, victime à la fois de la crise économique mondiale… et d’un palmarès désespérément vierge. Mais cette retraite va être le point de départ d’une autre renaissance. Tandis que le monde automobile commence à basculer vers les énergies alternatives, Toyota affine sa vision : celle d’un prototype hybride, capable de concilier performance et innovation technologique. Dans l’ombre, loin des projecteurs, l’idée d’un retour au Mans prend forme.
La décennie 2000–2010 restera donc celle d’un silence lourd de sens. Une pause stratégique. Une respiration avant la dernière marche.
2012–2015 : les promesses de l’hybride
Mise en sommeil après l’échec du programme de Formule 1, l’équipe européenne Toyota Motorsport basée à Cologne réussit à convaincre Akio Toyoda, président passionné et petit-fils du fondateur, de revenir sur la scène du Mans. L’occasion est trop belle : à partir de 2012, la nouvelle réglementation technique autorise les motorisations hybrides. Pour la marque qui a popularisé la technologie avec la Prius, ne pas participer serait une incongruité.
Le retrait brutal de Peugeot en janvier 2012 précipite les choses. Toyota aligne en urgence une toute nouvelle voiture : la TS030 Hybrid, animée par un V8 atmosphérique de 3,4 litres associé à un moteur-générateur électrique placé sur l’essieu arrière. Contrairement aux Audi, dont la motorisation hybride anime le train avant et qui deviennent ainsi des Quattro électriques, les Toyota misent sur une architecture différente — mais le duel promet d’être passionnant.

Et il le sera. Dès ses débuts au Mans, la TS030 fait sensation. La n°7, confiée à Wurz, Lapierre et Nakajima, se bat roue dans roue avec l’Audi n°2 de Capello, Kristensen et McNish. Mais la course s’assombrit rapidement : à 20h30, Anthony Davidson, alors au volant de la n°8, est violemment percuté par une Ferrari du GTE. La Toyota s’envole, effectue un impressionnant looping, et s’écrase dans les barrières. Davidson souffre de deux vertèbres fracturées — une blessure sérieuse mais sans conséquences à long terme. Peu après, la n°7 abandonne sur problème technique. Début amer, mais prometteur.

En 2013, Toyota revient plus fort. Toujours avec la TS030, l’équipe livre une bataille acharnée contre Audi. Cette fois, les deux voitures japonaises rallient l’arrivée : la n°8 monte sur la deuxième marche du podium, tandis que la n°7 termine quatrième après une sortie de piste. La dynamique est en marche.
L’année 2014 marque une nouvelle étape. Porsche revient au Mans avec la 919 Hybrid, dotée d’un petit V4 turbo associé à un système hybride placé à l’avant. Toyota riposte avec la TS040 Hybrid, une bête de 1 000 chevaux combinant un V8 de 3,7 litres et deux moteurs-générateurs, un par essieu. Le règlement, fondé sur un strict contrôle de la consommation énergétique, pousse les ingénieurs à innover, et le spectacle n’en est que plus impressionnant.

Dès les qualifications, Kazuki Nakajima réalise l’exploit : pole position avec la n°7, devenant le premier Japonais à signer la pole au Mans au volant d’une voiture japonaise. La Toyota prend la tête dès le départ, et domine jusqu’au petit matin… avant qu’un souci électrique n’entraîne son abandon. La n°8, retardée dès le samedi après-midi dans un carambolage provoqué par un orage, termine héroïquement à la troisième place. Encore une fois, Toyota échoue tout près du but.
En 2015, forte d’une fiabilité renforcée, la marque revient avec deux TS040 affûtées. Mais cette fois, la compétition a haussé le ton : les Porsche sont redoutables et les Audi toujours incisives. Toyota tourne sans encombre, mais reste hors du rythme. Résultat : une sixième et une huitième place — frustrantes, mais révélatrices d’un plafond de verre qu’il faudra briser.

2016–2017 : « Il est dit que Toyota… »
L’image est restée gravée dans toutes les mémoires : la Toyota n°5, à l’agonie dans la ligne droite des stands, à trois minutes seulement du drapeau à damier. En tête du classement, en route vers une victoire historique, elle s’arrête soudainement, foudroyée par une panne électronique aussi bénigne qu’impitoyable. Dans la radio, les cris déchirants de Kazuki Nakajima résonnent : « No power, no power ! ». Pour Stéphane Sarrazin, pilote de la n°6, deuxième à l’arrivée, le sentiment est d’une injustice presque cosmique : « Je ne suis pas croyant, mais s’il y a quelqu’un là-haut, on a vraiment dû faire un truc de mal pour mériter ça. »
Jusqu’à ce dernier tour dramatique, la course avait été magnifique. Intense, propre, tactique : Toyota tenait enfin tête à Audi et Porsche. Mais sur le podium, l’ordre final en dira long sur la cruauté des 24 Heures : Porsche-Toyota-Audi. Pourtant, avec la nouvelle TS050 Hybrid, Toyota semblait avoir tout mis en place pour réussir : un V6 biturbo de 2,4 litres développant 500 chevaux, combiné à deux moteurs-générateurs de 250 chevaux placés sur les essieux avant et arrière. Une machine redoutable, calibrée pour la victoire.

En 2017, la détermination est à son comble. Pour la première fois, Toyota aligne trois voitures au départ. Dès les qualifications, le ton est donné : Kamui Kobayashi réalise un tour exceptionnel au volant de la n°7, décrochant la pole à 251,8 km/h de moyenne — un record absolu depuis l’ère sans chicanes des années 1980. La n°8 complète la première ligne : l’assaut est lancé.
Mais cette fois, ce n’est pas un drame, c’est une débâcle.
La n°8 ouvre le bal des déboires avec un problème sur le moteur-générateur avant, qui l’immobilise deux heures au stand. Peu après, la n°7 de Kobayashi profite d’une neutralisation pour ravitailler. À la sortie, un feu rouge l’oblige à s’arrêter en bout de pitlane. C’est alors qu’un homme en combinaison orange — couleur des commissaires — surgit en agitant les bras. Kobayashi, croyant à un signal officiel, redémarre. Le stand hurle immédiatement dans la radio : « Stop ! Le feu est rouge ! » Mais le mal est fait. Dans la confusion, le moteur thermique s’est enclenché sans la procédure de relance électrique imposée. Résultat : l’embrayage grille instantanément. La n°7 tente de regagner la piste, se traîne jusqu’aux Hunaudières, puis abandonne. Il est 1h15.
À peine vingt minutes plus tard, c’est au tour de la n°9 de connaître un destin funeste. Nicolas Lapierre dépasse une LMP2 dans la ligne droite des stands. Comme toutes les LMP1, la TS050 est équipée d’un système de roue libre en fin de ligne droite, destiné à économiser de l’énergie. Ce léger ralentissement surprend le pilote de la LMP2, qui percute violemment l’arrière de la Toyota. Envoyée dans les graviers, elle ne repartira pas.
Trois voitures engagées, trois abandons. En pleine nuit sarthoise, Akio Toyoda quitte discrètement le circuit, profondément marqué. Le sort semble s’acharner sur son équipe.
2018–2020 : Vingt fois sur le métier…
Vingt tentatives. Il en aura fallu des années d’attente, de souffrances, de promesses envolées pour que Toyota décroche enfin sa victoire au Mans. En 2018, la marque japonaise n’a plus d’adversaire à sa mesure : Audi s’est retiré fin 2016, Porsche a quitté la scène à l’issue de 2017 après trois victoires consécutives. Seul le team privé Rebellion se dresse face aux deux Toyota officielles. La lutte pour la victoire se joue donc… en interne.
Et cette année-là, la course devient l’affaire de trois hommes : Sébastien Buemi, Kazuki Nakajima, et un invité de marque, Fernando Alonso. Mis entre parenthèses de la Formule 1, l’Espagnol vient chercher la triple couronne et apporte son talent au volant de la n°8. Ce trio offre à Toyota sa première victoire, historique, légitime, attendue.

En 2019, le scénario se répète : domination partagée entre les deux voitures japonaises. La n°7 de Conway, Kobayashi et López mène la majeure partie de la course, mais un capteur défectueux et une confusion au stand ruinent tous ses efforts dans les dernières heures. La victoire revient à la n°8, encore une fois pilotée par Buemi, Nakajima et Alonso.
2020, année de la pandémie. Les 24 Heures sont déplacées à septembre, disputées à huis clos. Alonso est parti tenter l’aventure du Dakar avec Toyota, mais l’histoire reste la même : la lutte se joue entre les deux TS050. Cette fois encore, c’est la n°8 — avec Buemi, Nakajima et le Néo-Zélandais Brendon Hartley — qui l’emporte. Trois victoires consécutives pour l’équipage, une domination sans partage. Mais certains s’interrogent déjà : Toyota gagne, certes, mais face à qui ?

2021–2024 : En attendant 2025…
La réponse ne tarde pas. En 2021, un nouveau règlement technique entre en vigueur : l’ère des Hypercars commence. Et avec elle, un renouveau de l'intérêt des constructeurs. Ferrari, Porsche, Peugeot, Cadillac annoncent leur retour. Mais en attendant que la concurrence prenne corps, Toyota reste seul maître à bord.
Pour ce nouveau défi, la marque engage une voiture entièrement nouvelle : la GR010 Hybrid, conçue par Toyota Gazoo Racing, la branche sportive du constructeur pilotée de près par Akio Toyoda. Le châssis est toujours développé à Cologne, le groupe motopropulseur — un V6 biturbo de 3,5 litres (500 kW) combiné à un moteur électrique de 200 kW — est mis au point à Higashi-Fuji. Le Mans devient un laboratoire roulant, où Toyota continue d'apprendre tout en gagnant.

Mais 2021 n’est pas une simple formalité. La pandémie n’est pas terminée, la course est décalée à août avec une jauge de spectateurs réduite. Alpine, avec une ancienne LMP1 thermique — ex-Rebellion — se montre plus coriace que prévu. D’autant que la GR010 souffre encore de problèmes de jeunesse, notamment une alimentation en carburant capricieuse. Pour tenir jusqu’au bout, les ingénieurs doivent adapter en temps réel une stratégie de consommation, relayée avec précision aux pilotes. C’est finalement la n°7 de Conway-Kobayashi-López qui l’emporte, leur première victoire au Mans après plusieurs échecs cruels.

En 2022, la n°8 reprend sa place sur la plus haute marche. Buemi devient quadruple vainqueur, accompagné de Brendon Hartley et d’un nouveau venu : Ryo Hirakawa, qui remplace Nakajima, désormais vice-président de Toyota Gazoo Racing Europe. Une passation de témoin qui se fait dans la continuité, et avec succès. Toyota démontre une fois de plus qu’elle sait gagner, que ce soit sous la pression ou dans la gestion.

Arrivent alors 2023 et 2024, l’année tant attendue du grand retour des géants. Ferrari, de retour après un demi-siècle d’absence, frappe fort. La 499P est rapide, bien née, ambitieuse. Et à la surprise générale, c’est elle qui triomphe, mettant fin à la série de cinq victoires de Toyota. L’équipe japonaise, défaite mais pas humiliée, prend acte : pour rester au sommet, il faudra encore élever le niveau.
2025 : Le Nouveau Chapitre
Ainsi, avec ces victoires consécutives, Toyota a su installer une domination bien méritée, mais une question persiste : jusqu’où cette supériorité peut-elle aller face à une concurrence de plus en plus féroce ? Le retour des grands noms du sport automobile, comme Ferrari, Porsche, et d’autres prétendants tels que Peugeot ou Cadillac, annonce une nouvelle ère, un retour à la lutte féroce pour la première place. Le défi pour Toyota ne sera plus seulement de retrouver sa place de leader, mais d’affronter des géants qui reviennent avec des voitures et des ambitions renouvelées.

Avec l’arrivée de la nouvelle réglementation Hypercar, le futur s’annonce palpitant. Toyota, forte de son expérience et de ses victoires passées, entre dans cette nouvelle ère avec un objectif précis : non seulement dominer mais aussi s’assurer que chaque victoire sera obtenue contre les meilleures équipes et voitures de la planète. La GR010 Hybrid continue d'évoluer, avec cette génération de pilotes et d’ingénieurs qui s’apprête à écrire la suite de cette saga. En 2025, Toyota pourra donc se regarder dans le rétroviseur avec fierté, mais aussi avec une immense détermination. Car, au Mans, rien n’est jamais acquis, et la gloire d’hier n'est jamais une garantie pour demain. Le véritable défi de Toyota commence maintenant, face à des adversaires plus redoutables que jamais. Le Mans, plus que jamais, est un terrain de jeu où chaque seconde compte, où chaque course devient une bataille décisive. Et la quête pour le sixième titre ne fait que commencer.
Crédit photos : Stéphane CAVOIT - Willy CHANTELOUP / RACINGSHOOTS